mercredi 14 novembre 2007

Dans le prolongement des upanisads

Les upaniṣad les plus anciens sont inclus dans la litérature védique comme un prolongement des Brāhmaa et plus spécifiquement des spéculations Āraṇyaka. Elles sont une quinzaine et c'est avec elle que se clôt le canon védique.

Cependant face aux nouveaux courants de pensée du brahmanisme et des divers sectes de renonçants, il fallait bien que la pensée des upaniṣad s'adapte à la nouvelle donne, ce qui a donné lieu à la rédaction de nouvelles upaniṣads enseignant de nouvelles doctrines.[1] On compte environ deux cent upaniṣad portant sur les sujets les plus divers dans le but de les réintégrer dans le brahmanisme. Les upaniṣad qui nous intéressent plus particulièrement dans le cadre de nos recherches sur les siddhas sont les Saṁnyāsa upaniṣad et les Yoga upaniṣad. Les adeptes du sāṃkhya-yoga et les renonçants étant apparus entre autres en réaction contre le brahmanisme, ces upaniṣad tentent de les intégrer.

De la vingtaine d'upaniṣad portant sur le yoga, Jean Varenne en a sélectionné huit pour son livre Upanisads du yoga, "d'une forte unité doctrinale", relevant du tantrisme et quelque peu hérétiques par rapport aux doctrines plus classique de Patañjali-Vyāsa.[2]

Le but ultime du yoga est la libération et à l'origine celle-ci est imaginée de façon quasi-substantielle. L'univers consiste en trois mondes: la terre, l'atmosphère et le ciel. Ces trois mondes sont transcendé par un quatrième monde absolu, le brahma-loka. Les Jains distinguent entre un monde et un non-monde. Et la délivrance des trois mondes est indéniablement approchée comme un départ "physique" de ce monde. En questionnant deux jeunes Brahmanes dans le Tevijja Sutta, le Bouddha montre que le chemin menant à Brahma n'est pas à prendre au sens littéral, puisque ceux qui enseignent le chemin qui mène à Brahma n'ont jamais vu Brahma de visu.[3] Le fait que Bouddha critique et même quelquefois ridiculise cete approche montre bien qu'elle était réelle. Le Brihad-Āraṇyaka Upaniṣad enseigne d'ailleurs deux voies possibles après la mort. Une qui après une vie dans la forêt fondée sur la Vérité de l’être, mène par le monde des dieux et le soleil au monde de Brahman, d’où on ne revient pas et une fondée sur le sacrifice, passe par le monde des ancêtres et la lune et qui s’achève dans une renaissance ici-bas[4].

Le monde absolu est en dehors du temps et de l'espace, au-delà même de l'être et du non-être. A la fin du temps, les trois mondes seront détruits, mais le monde absolu restera. Les upaniṣad du yoga envisagent l'état final "comme une cohabitation avec le Suprême Seigneur et le comparent volontiers à l'union béatifique de la Déesse avec son divin époux."[5] Mais plus tard, cette approche dévotionnelle fera place à une approche plus yoguique où l'on tentera pratiquement par ses propres efforts et avec les instructions d'un guru, d'accéder à ce monde absolu, qui deviendra de plus en plus intériorisé ensemble avec "la Déesse et son divin époux".

Les nouvelles upaniṣad ont donc été composées pour remettre le message upaniṣadique au goût du jour par rapport aux nouvelles tendances et se sont développées selon deux lignes de pensée, les Vedānta et le Viṣṇuïsme. Le point de dissemblance principale entre les deux est leur attitude vis-à-vis de la religion sacrificielle des vedas et donc vis-à-vis de l'ordre du monde et de son maintien. Le Vishuïte Rāmānuja recherche un compromis entre la réalisation des objectifs mondians (dharma-jijñāsā) et celle de la libération (brahma-jijñāsā). La première approche consiste en la pratique des obligations sacrificielles et rituelles, la deuxième, plus mystique, s'appuye sur le principe que connaître le Brahman, c'est être le Brahman.La connaissance du Brahman n'est pas produite par une activité quelconque, elle est déjà là. [6]


[1] Upanisads du yoga, Jean Varenne, p. 23

[2] Upanisads du yoga, Jean Varenne,

[3] Le Pātika Sutta et le Kevaddha Sutta sont d'autres endroits, où les suttas se moquent gentiment de cette approche.

[4] Mahabharata, Madeleine Biardeau, p. 53,54

[5] Upanisads du yoga, Jean Varenne, p. 26

[6] S Dasgupta, Obscure Religious Cults, p. 64

Origines chinoises de l'alchimie des siddhas

Une des fictions philosophiques du Tchouang-tseu (356-286 avant notre ère)[1] relate la mort (Un monstre, deux morts et mille métamorphoses) et l'acceptation de la mort comme une transformation de quatre amis. On y parle de "jeu de fontes et de refontes", de "Grand Fondeur" et de la transformation en "une épée mythique". L'histoire ne crée pas un mythe, mais renvoie à une ancienne histoire qui traite de la transformation de l'humain en métal par un jeu de fontes. Il y est fait allusion à la légende de l'épée de Mo Ye. "Un jour que mon maître fondait sans succès un minerai de fer, il pénétra avec sa femme au beau milieu de la fournaise et il réussit à fondre les métaux." Mo Ye répond: "Ton maître savait qu'il fallait fondre un corps pour obtenir un tel résultat."

Marcel Grandet: "la trempe d'une épée était considérée comme une union de l'eau et du feu" (donc du Yin et du Yang). "Le feu est le mâle de l'eau". Granet explique que les épées, qui sont des concentrations métalliques sexuées, forment un couple et cherchent toujours à s'unir, à rester fidèles l'une à l'autre. "L'alliage est le résultat d'une alliance: c'est un rite de mariage."

Selon Joseph Needham, l’alchimie aurait probablement ses origines en Chine autour du 1er siècle de notre ère. Il existait alors une technique appelée « kim » ou « chin », aurifaction, qui aurait été transmise vers l’occident vers le 3ème siècle. Pseudo-Zosime aurait translittéré ce terme en chymeia ou chemeia, qui serait plus tard arabisé en al-chymeia et introduit dans les traditions européennes comme alchymia, alchémie. Si Needham est correct, la Syrie aurait reçu l’alchimie au 3ème siècle de la Chine et aurait ré-exporté sa technique d’extraction légendaire vers l’est, par l’intermédiaire des sources Indiennes du 13ème siècle (qui font l’objet de The Alchemical Body de David Gordon White), pour finalement retourner dans son pays d’origine, la Chine, dans le 17ème siècle.[2]

White a pour hypothèse que la fascination indienne pour l’alchimie est probablement apparue des contacts anciens avec la Chine, où l’Inde exportait le bouddhisme et où la tradition alchimique spéculative du Taoïsme s’était développée depuis le 2ème siècle. Ces traditions seraient ainsi arrivées en Inde par voie maritime.[3] Ces échanges maritimes existaient déjà au début de notre ère et avaient leur période d’essor entre le 3ème et le 8ème siècle. Pratiquement tout le mercure qu’utiliseraient les alchimistes indiens provenait de la Chine.White donne plusieurs exemples d’échange. Notamment la traduction sanscrite du Tao te ching qui était offert par les chinois en 646 au roi de Kāmarūpa (Assam) en échange contre des informations sur l’alchimie transmutationelle et d’élixir et l’interrogation par un roi indien d’Udyāna, dans la vallée du Swat au Pakistan de deux bouddhistes chinois et qui portaient sur la médecine, la science et les palais en argent en or des immortels[4].

Les principaux points de contact entre l’Inde et la Chine étaient la route de la soie, Assam et les ports Indiens sur le littoral sud de Tamil Nadu et du Gujarat.[5]



[1] Romain Graziani, Fictions philosophiques du Tchouang-tseu , p. 164-165

[2] The Alchemical Body de David Gordon White, p. 204

[3] The Alchemical Body de David Gordon White, p. 53

[4] The Alchemical Body de David Gordon White, p. 62

[5] The Alchemical Body de David Gordon White, p. 64

mardi 13 novembre 2007

Le contexte des siddhas

La philosophie de l'Inde, qu'elle que soit la religion qui la prend pour point de départ, est basée sur des variations sur le thème absolu/relatif. Est absolu ce qui ne dépend de rien d'autre que de lui-même pour exister. Est relatif ce qui n'existe qu'en relation avec une autre chose. Dans un monde instable, confronté à une existence instable et insatisfaisant, l'homme religieux indien cherche une stabilité consciente et heureuse (sat-cit-ānanda). L'Absolu, qu'il poursuit est l'Être sans qualité, qui soutient toute existence particulière et relative.

Pour atteindre cet absolu, à l'opposé de l'existence relative, il peut y avoir différentes étapes et des aides intermédiaires. Chaque courant religieux a ses propres définitions de l'absolu et du relatif et de leurs rapports mutuels. Pour simplifier et sans vouloir être exhaustif : Purua/prakti (sāṃkhya-yoga), Brahman/māyā (vedanta), Śiva/śakti (shivaïsme), Niscaya-naya/vyavahara-naya (points de vue réel et empirique du jinisme), paramartha-satya/samvrti-satya (vérités absolue et conventionnelle du bouddhisme madhyamaka).

Les premières allusions explicites au Yoga se trouvent dans les upaniṣad, dites védiques, les plus anciennes. Certaines d'entre elles[1] présentent l'image du char (l'être humaine) tiré par des chevaux indisciplinés (les sens) que le cocher (la pensée) ne parvient pas à diriger. "Embarquée sur ce véhicule qui court à l'abîme, l'âme (ātman) souffre en silence."[2]

Le Yoga, qui est aussi bien méthode qu'objectif, propose alors de libérer "l'âme", définie de façon différente dans les divers courants religieux. Cette libération va dans les temps plus anciens le plus souvent de paire avec une désincarnation, mais elle peut aussi être une libération dans le corps même et, dans le tantrisme, par le corps.

Concrètement, la libération est réalisée à travers l'immobilisation du "char", par le retrait des sens (pratyahara), par la neutralisation du mental (manas) à l'aide de la tenue du souffle (pranayama), qui est considéré lui servir de monture. En immobilisant le "relatif", construit de toutes pièces par les sens et par le mental, "l'absolu" pourra se manifester.

"Quand, détachée de la révélation (śruti), ta pensée (buddhi) sera fixée, stable, inébranlable dans la contemplation (samādhav), alors tu seras en possession du yoga."[3]

Tous les courants religieux de l'Inde sont redevables au yoga, y compris les brahmanistes qui se sont efforcés de le récupérer en le faisant passer pour "védique". La Bhagavad Gītā développe son système sur trois axes, auxquels elle accorde une importance égale : la dévotion (bhakti) bhagavata, la philosophie du sāṃkhya et les techniques du yoga.

Il est généralement présumé que le Yoga prédate le védisme et que l'association du dieu Śiva avec le yoga soit très ancienne. "[Il] est constamment tenu pour le yogin par excellence, le maître et l'initiateur véritable de tout adepte (le guru humain n'agissant que sur mandat reçu, en chaîne ininterrompue, de Śiva lui-même)."[4] Śiva est un dieu qui sert de modèle et d'intermédiaire pour amener l'homme à l'absolu. Ce que Śiva a réalisé est également à portée de l'homme. Et c'est lui-même ou un des ses avatars, y compris ses équivalents Heruka bouddhistes, qui sont à l'origine des diverses transmissions du Moyen-Âge indien. Ceux qui accèdent au statut de Śiva , deviennent des demi-dieux désincarnés ou aux corps gazeux. Ce sont les siddhas et vidhyādhara qui séjournent sur les sommets des montagnes.

Dans des perspectives tels que le bouddhisme mahāyāna ou le vedanta de Shankara, la pure réalité non duelle de l'absolu, non représentable et accessible seulement au moyen de la contemplation (samādhi), "peut néanmoins, à des fins d'adoration, être approchée à travers une diversité de noms et de formes "projetée" (adhyāropita) sur elle par celui qui lui rend un culte ou lui adresse une prière."[5] Ainsi, la dévotion et l'aspiration dans les divers courants religieux s'exprimeront à travers hymnes et prières de louanges (stotras), adressés à des dieux, à l'absolu personnifié par un dieu (la déesse Prajñāpāramitā), ou directement à l'absolu (p.e. l'hymne au dharmadhātu de Nāgārjuna).

Ces trois axes servant les besoins émotionnels (bhakti), intellectuels (connaissance) et de paix/dépassement de la condition humaine (yoga) deviendront répandus dans toutes les traditions mystiques, toutes religions indiennes confondues. On les retrouvera donc logiquement dans la mystique des siddhas bouddhistes.



[1] Kāṭha-, Maitri- et Śvetāśvatara. Upaniṣads du yoga, Jean Varenne, idées/gallimard, p.17

[2] Upaniṣads du yoga, Jean Varenne, idées/gallimard, p.17

[3] La Bhagavad Gītā II.53 Sénart, p. 8

[4] Upaniṣads du yoga, Jean Varenne, idées/gallimard, p.13

[5] Shankara et la non-dualité, Michel Hulin, Bayard, p. 41

dimanche 11 novembre 2007

Les siddhas des Jains

La mention la plus ancienne du mot « siddha » a été trouvé dans les cercles jaina. On trouve ce terme dans l’inscription dans une grotte à Udayagiri au nord de Bhubaneswar en Orissa, qu’on date du deuxième au premier siècle avant J.C. L’inscription commence tout simplement avec un hommage aux arhats et aux siddhas (namo arahantānaṃ namo savasidhānaṃ). [1]

Le maître jaina Kund Kund acarya (ou Kunda Kunda 2ème siècle AD[2]) donne la définition suivante d’un « siddha » dans son oeuvre Ashta Pahuda (les huit offrandes) :

« 6. Le grand saint qui a triomphé sur l’orgueil, l’attachement, l’aversion, la méprise, la colère et la concupiscence et qui observe les cinq grands voeux (mahaavrata) [3], est appelé un « ayatan ».

7. Un siddha (parfait) est celui qui a accompli son but authentique, qui a une méditation pure et possède la connaissance. Un tel siddha, qui est le meilleur des saints ermites et qui connait son but authentique est appelé un « siddayatan ».

12 & 13. Dotés d’une vision (darśana) sans limite, d’une connaissance (jñāna) infinie, d’une énergie infinie et une béatitude permanente, débarassé du corps et libre de la servitude des huit sortes de karma, incomparables, inchangeables, imperturbables, et imaginés séjourner dans la région des Parfaits dont la forme est à abandonner, les Siddhas constituent une « pratima » ou bien une forme de l’informe.

32. Un Arhata (destructeur de l’ennemi ou du karma) est celui qui a atteint le 13ème degré de développement spirituel, l’incarnation de la connaissance absolue, dotée des 34 merveilles et des 8 emblèmes. (Le 14ème degré est représenté par le siddha désincarné qui a abandonné son corps). »[4]

Le fondateur ou réformateur du jinisme, Vardhamana ou Mahavira, contemporain du Bouddha, a quitté son corps à l’âge de 72 ans en jeunant jusqu’à la mort et en atteignant la libération complète (mokśa). Il est dit séjourner au faîte du monde (loka ākāśa) comme un siddha (parfait) dans un état de béatitude permanente. En fait, c'est à l'âge de 42 ans qu'il atteignit l'état d'isolement (kevala). C'est-à-dire que son âme s'était défait du dernier résidu de karma et qu'elle était autonome, pure conscience et de ce fait omnisciente. Il continua à enseigners jusqu'à sa libération finale.[5] Patañjali recommande également la recherche d'un état qu'il nomme Kaivalya (isolement) et dit que l'individu qui y parviendra est "délivré du monde" de façon permanente et stable.[6]



[6] Upanisads du yoga, Jean Varenne, p. 26

« Dans les concceptions et la terminologie jaina, la délivrance est souvent dénommée « accomplissement, réalisation, Perfection » (siddhi), terme qui désigne aussi, au faîte du monde, le lieu où se regroupent les âmes rendues à leur pureté naturelle, à leur vie exclusivement spirituelle : ce sont les « Parfaits » (siddha), mentionnés dès les premières strophes du [paramātmaprakāsa de Yogīndu]. »[6]

Traditionellement, il y a trois types de séjours pour les siddhas sémidivins : les sommets de montagnes près du centre ou de la périphérie du disque terrestre (Bhūloka), dans les régions atmosphériques au-dessus de la sphère céleste (Svarloka) et au sommet de l’œuf cosmique au niveau diversement connu comme Brahmaloka, Satyaloka ou Siddhaloka.[7]



[1] Indian Estoteric Buddhism, Ronald M. Davidson, p. 173

[2] Dundas, The Jains. London, NY: Routledge, 2nd edition, 2002.

"Nothing is known of Kundakunda's life. Although scholarship has conventionally located him in the second or third century CE, hagiographical accounts do not appear until the tenth century, a fact which has prompted a recent radical reassessment of his dating which would locate him after 750 CE. [an endnote reference is here, which I'll get to in a moment] ... Tradition regards Kundakunda as being the founder of the Muula Sa'ngha, the main Digambara ascetic lineage..." (p.107)

[3] 30. (1) Non-injury (2) Refraining from falsehood, (3) not appropriating unoffered things (4) celibacy and (5) freedom from possessions.

[5] Indian Religions edited by Peter Heehs, p. 90

[6] Lumière de l’absolu, Yogiindu, Nalini Balbir et Colette Caillat, p. 32

[7] Kiss of the yogini, David Gordon White, p. 167

vendredi 2 novembre 2007

Attitude critique des siddhas

Les caractéristiques générales de la littérature Siddha sont souvent résumées en une attitude négative vis-à-vis des autorités, des rituels, de la société castes, des écritures sacrées ou plutôt de l’attitude dévotionnelle envers celles-ci. Pour être plus juste, ce n’est pas tant que les siddhas s’opposent à ces choses tout en voulant leur substituer d’autres, mais plutôt ils jugent que ces choses divertissent des moyens réels pour parvenir à son but. Elles manquent d’efficacité réelle en ce qui concerne la libération. Les écrits de Pascal sur le divertissement et la concupiscence (désir ardent des biens terrestres) ont la même portée.

Le bouddhisme mahāyāna enseigne les huit choses mondaines, c’est-à-dire les huit choses qui nous attirent vers le monde et qui peuvent nous y retenir. Il s’agit traditionnellement des quatre paires suivantes :

apprécier le gain, redouter les pertes
apprécier la renommée, redouter la mauvaise réputation
apprécier la louange, craindre le mépris et les critiques
apprécier le bonheur, craindre la souffrance

Ces quatre choses, qui sont en fait des attitudes, peuvent aussi bien s’exercer dans le domaine sacré que profane. On peut lire les textes sacrés, effectuer des rituels etc. avec une attitude tout à fait mondaine, motivée par les huit choses mondaines.

C’est dans doute dans ce sens qu’il faut comprendre les citations suivantes de chants siddhas :

« Dans les quatre Vedas éternels
Dans l’étude et la lecture des écritures,
Les cendres sacrés et les saints écrits
Ni dans la récitation de prières
Tu n’y trouveras pas le Seigneur !

Fonds-toi dans le cœur intérieur
Et proclame la vérité
C’est là que tu rejoindras la lumière-
Une vie sans servitude. »

(Sivavakkiyar (10ème s.), Pāṭal (« Chant ») traduit en anglais du tamil par Kamil V. Zvelebil.)

« Le monde étale son orgueil.
' Je connais à fond le suprême bien ' (disent-ils).
Un peut-être parmi dix millions s’est attaché à l’Immaculé.
Les savants mettent leur orgueil dans les Traditions, dans les Veda et dans les Pur
āna. Ils tournent au-dehors comme les abeilles autour du bel mûr.
L’immobile englobe la pensée de l’éveil (bodhicitta) malgré la poussière qui l’entoure.
On voit la graine du lotus, pure par nature, dans son propre corps. »

(Kāṇha, Dohākoa, traduit du vieux bengali par M. Shahidullah)

« Certes, sans connaître le mystère c’est en vain que les Brahmanes ont lu les quatre Veda.
Prenant une motte de terre, de l’eau et de l’herbe Ku
śa, ils lisent ; assis dans leur maison, ils offrent l’oblation au feu. C’est en vain qu’ils apportent l’oblation, se brûlant les yeux à la fumée âcre. »

(Saraha, Dohākoa, traduit du vieux bengali par M. Shahidullah)


La critique des Brahmanes et leur utilisation des Vedas est commune à de nombreux sectes de renonçants, mais dans le doh
ākoa cité, Saraha applique avec humour la même critique aux Shivaïtes, aux moines nus Jaïna (Digambara) et n’épargne pas les bouddhistes.

Le Jaïna mystique Yogindu écrit :

« 85. Pandit entre les pandits, tu as laissé le grain pour pilonner la balle!
Tu t'es satisfait du sens (littéral) et du texte, (mais) tu ne connais pas le sens suprême: tu es un pauvre sot!
86. Fiers de leurs (connaissances) scriptuaraires, d'elles seules, ils ne considèrent pas la cause (première): comme de malheureux équilibristes, experts au maniement du bambou, ne font rien de plus que gesticuler.
125. Ils sont beaucoup à gronder entre eux à propos du texte des six systèmes philosophiques;
la cause, elle, est unique, suprême : ils croient le contraire !
126. Ceux qui sont versés dans les Siddh
ānta, Purāna, Veda, pauvre enfant, auront à ne s'y pas tromper :
c'est (seulement) dans la mesure où on a la félicité comme viatique que, pauvre enfant, on vous dit Parfait. »

(Yogindu, l’Offrande de distiques, traduit du vieux bengali (apabhraṃśa) par Colette Caillat)

23. Ce n'est certes pas grâce aux Veda, aux traités didactiques, aux organes des sens qu'on parvient à le penser: il est objet de concentration mentale immaculée, voilà le Soi-suprême, sans commencement.

(Lumière de l'absolu, paramaatmaprakaasa, traduit du vieux bengali (apabhraṃśa) par Nalini Balbir et Colette Caillat pp. 100-101)

L’Avadhūt gītā attribué à Dattātreya, texte post-Śankara probablement datant du XIIème siècle, dit sensiblement la même chose :

« 33. Il n’y a ni mondes, ni Védas, ni Devas, ni sacrifices, ni castes, ni clans, ni nationalité, ni voie de ténèbre, ni voie lumineuse.
34. Certains prônent le non-dualisme, d’autres le dualisme. Ils ne connaissent pas la Vérité qui est au-délà des deux.
35. Comment décrire la suprême réalité, puisqu’elle n’est ni blanche ni d’une autre couleur, n’a ni qualités comme le son, et est au-delà de la voix et du mental. »

(Avadhūt gītā, Hari Prasad Shastri p24)

34. Que savent-ils de lui les pandits? Même les Védas ne peuvent parler parfaitement de lui. Cette béatitude absolue, indestructible mais source de béatitude pour tous, est l’Avadhūta.

(Avadhūt gītā, Hari Prasad Shastri p52)

Dans les upaniṣad du renoncement, les stades ultimes du renoncement sont ceux de l’avadhūt ou (celui qui s’est lavé de la souillure de l’ignorance) du parama-hamsa. Seulement ces renonçants s’inscrivent dans un long cursus dont le renoncement total (à leurs personne et fonction avec tous les attributs) n’est que le point culminant. Il est certain que ce renoncement ultime, y compris les méthodes religieuses qui les ont amenés jusqu’au stade finale qu’ils ont atteint, relativise toute action religieuse antérieure et pourrait partant être vue comme une sorte de critique implicite. Dans les upaniṣad elle restera cependant implicite, elle deviendra explicite et railleuse dans les expressions plus populistes des siddhas.